La maternalité

La maternalité.

« Alors qu’à l’adolescence l’enjeu est de renoncer à l’enfance pour aborder l’âge adulte, au cours de la première maternité,  l’enjeu est de changer de génération, de façon flagrante et irréversible. »

Monique Bydlowski

Une crise identitaire majeure

Toute femme enceinte, qu’elle ait désiré sa grossesse ou non, traverse une crise identitaire majeure comparable à celle de l’adolescence. Le chamboulement n’est pas que physique. Il y a aussi des raz de marée psychiques.  La future mère est déstabilisée car il est question, pour elle de changer d’identité. En effet, elle va passer de « Fille de… » à « Mère de… ». Si la crise de maternalité se passe bien, elle sera maturative. Mais il peut y avoir des ratés.

C’est le Dr Paul Claude Racamier, psychanalyste, qui, en 1960, a donné ce nom de « maternalité » à cet état très particulier que traversent les femmes enceintes. Issue de l’anglais motherhood, elle se construit sur la base des mots « maternel », « maternité » et « natalité ». Elle qualifie tous les processus psychologiques affectifs liés au désir et à la réalisation de la maternité qui se développent et s’intègrent chez la femme.

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« Devenir mère » entraîne inévitablement un questionnement sur ses propres origines, sur la différence des générations ou encore sur la mort. Dans la mesure où il s’agit d’une crise, elle est constituée d’un début et d’une fin.

Elle commence dès l’annonce de la grossesse et se termine progressivement lorsque l’enfant a une année. Quant à la préoccupation maternelle primaire ( elle sera décrite dans un prochain article), et qui décrit également un autre aspect du psychisme de la nouvelle mère, elle couvre une période plus courte, qui commence quelques semaines avant l’accouchement et qui dure encore trois mois environ après.

Le pédopsychiatre et psychanalyste Donald Winnicott a décrit cet état comme une maladie naturelle.  Quant à la neuropsychiatre et psychanalyste Monique Bydlowski, elle parle de «transparence psychique » . Tous les médecins de l’âme qui s’occupent de mères en devenir, s’accordent sur le fait que la grossesse ne laisse pas les femmes indemnes.

Parallèlement aux bouleversements organiques, le psychisme fait son possible pour mettre en place les structures nécessaires pour faire face aux événements. En effet, il est fréquemment confronté à un sentiment d’étrangeté ou d’irréalité de la situation.

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La mère se sait habitée par un autre être qu’elle ne connaît pas et qu’elle ne perçoit pas ( au début). Elle se trouve impuissante face à une dynamique biologique qu’elle doit subir dans un relatif vécu de passivité qui va inexorablement l’amener à l’accouchement qu’elle redoute. Elle se trouve souvent confrontée à des manifestations anxieuses dont elle voudrait se défaire, mais n’y arrive pas. Elle a des doutes sur ses aptitudes, de l’inquiétude pour l’avenir de l’enfant. Ses ruminations négatives peuvent même s’amplifier et devenir des peurs archaïques d’éclatement, d’éventration ou de déchirure. Dans les cas d’épisiotomies ou de césariennes, ces fantasmes malheureux deviendront réalité. Mais probablement, ils seront moins terrifiants, parce que réels.

L’ambivalence

La future maman se trouve ainsi en perte de maîtrise de son monde intérieur. Elle devrait être heureuse et voilà qu’elle ne l’est pas. Franchement non ! Mais un peu quand même ! Depuis des mois ou des années, elle a rêvé ce moment et s’est projetée dans son futur avec un bébé dans les bras.

Même si toutes les grossesses ne mènent pas toutes les femmes dans pareilles extrémités, de nombreuses angoisses les habitent néanmoins. Et voici que surgit une ambivalence naturelle inconsciente vis-à-vis du désir d’enfant.

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Elle le veut et elle ne le veut pas. Plus l’ambivalence sera inconsciente et la future maman dans le déni, plus les somatisations seront importantes.

Le corps se charge d’exprimer ce que le psychisme ne peut pas voir !

Une triple identification

Mis à part ses propres angoisses, la future maman est confrontée à une

  • identification avec sa mère
  • identification avec le bébé qu’elle était
  • une identification avec le bébé qu’elle porte.

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Il y a bien de quoi être un peu dans la confusion. Cela la rend hyper émotive et hyper réactive. Tout cela est très amplifié par l’inondation hormonale. Cela fait beaucoup pour une seule personne. Il y a donc de quoi avoir des nausées !

Tandis qu’elle s’adapte lentement à ses ajustements anatomiques et hormonaux, la grossesse induit une résurgence de la problématique de ces domaines. Le passé se réveille. Des images se présentent à elle, en particulier de sa mère, même de ce que cette dernière a vécu dans la même situation. Ainsi remonte-t-elle les générations précédentes. Les émotions jusque-là refoulées, reviennent à la surface. C’est la transparence psychique décrite par Monique Bydlowski.

Lorsque l’enfance a été ressentie comme malheureuse, ou la mère insuffisamment bonne, cela produit un état de tristesse. Il faut impérativement que les professionnels consacrent beaucoup de temps aux mamans enceintes pour qu’elles puissent élaborer tout ce qui resurgit et se transforme en elles.

Il ne faut pas trop compter sur les gynécologues et les obstétriciens qui sont toujours pressés. Les sages-femmes ou les doulas sont beaucoup plus disponibles et à l’écoute. Et pourquoi ne pas entamer une courte psychothérapie pour dire à quelqu’un toutes ces résurgences ou même, des reviviscences.

La non-écoute ou la non-réponse à la femme dans ce contexte pourra, dans le pire des cas, la conduire à développer une psychose puerpérale ( qui est différente du babyblues ou de la dépression post-partum).

La grossesse confrontera toujours la femme avec sa mère.

Que la mère soit vivante ou non, que les ponts aient été coupés ou que les relations mères-filles soient excellentes, la future maman retrouve la mère intériorisée de son enfance. Elle en utilisera les modèles de pensées ou les façons de faire, ou les critiquera et les évitera complètement. Quelles que soient les circonstances, jusqu’à nouvel avis, la mère sera encore la référence numéro 1. C’est pour cela qu’il faut que la future maman mûrisse. C’est important de transformer cette relation parent-enfant qui n’a plus lieu d’être. Mais pour cela, il faut d’abord régler les éventuels conflits entre elles.

Néanmoins, pour qu’une femme se sente bien dans sa maternité, elle a besoin que sa mère accepte sa grossesse. C’est comme s’il fallait lui demander son autorisation et qu’elle donne ensuite son consentement. Lorsque cela ne peut pas se faire, surtout en cas de conflit, ou avec des mères très possessives, ce sera toujours compliqué pour une femme de devenir une maman épanouie. Les liens de filiations sont très forts, même lorsque l’on est en opposition ou en rupture.

La nidification psychique

Les bouleversements hormonaux, ne doivent pas faire oublier l’importance des enjeux psychologiques. Le travail psychique de maternalité à effectuer est colossal.

Comprenons bien ce qui se passe : la conception impose à la femme la présence d’un autre être humain, inséré au fond d’elle-même, à l’instar des poupées russes.

Bien qu’au départ, elle n’en ressente que les effets indirects, comme les seins qui augmentent de volume, une fatigue inhabituelle, des dégoûts pour certains aliments, une hypersensibilité aux odeurs et, pour couronner tout cela, des écœurements matinaux, la femme doit établir progressivement une relation abstraite avec un petit être inconnu en gestation au milieu d’elle-même. La grossesse lui impose donc un processus d’intégration psychique du fœtus. C’est en effet quelque chose d’incroyable d’être en relation avec un autre que soi, à l’intérieur de soi-même.

D’ordinaire, l’autre est à l’extérieur!

Les choses changeront de coloration lorsque plus tard, elle le sentira bouger dans son ventre et progressivement, interagir avec elle. Au terme de ce tour de force, la femme, transformée dans son identité, accédera au statut de mère. Bien sûr, tout cela est particulièrement fort lorsqu’il s’agit d’une première grossesse et que tout est nouveau. Lors de grossesses suivantes, ces sensations feront déjà partie de ce qui est connu.

Dans l’état de grossesse, surtout au début, il se produit alors un mécanisme d’indifférenciation entre soi et autrui qui permettra, dans la plupart des cas, d’accepter une « greffe » biopsychique d’un être humain à l’intérieur de soi.

Mais cela ne se produit pas toujours. L’enfant est parfois refusé, donné en adoption ou négligé. Exceptionnellement, il se produira un infanticide. Plus tard, il arrivera plus fréquemment qu’on ne croit pas l’enfant, qu’on le méprise ou  qu’il soit maltraité.

Parfois ce refus n’est pas élaboré. Resté à l’état brut, il sera transposé sur l’enfant à qui l’on reprochera la naissance. A force de lui dire : « C’est à cause de toi que j’ai tant souffert », on finit par en persuader l’enfant. C’est ainsi que ma patiente la plus gravement négligée m’a dit : « Tout allait bien pour mes parents jusqu’à ce que je sois venue leur pourrir la vie ! »

J’emprunte à Sylvain Missonnier, professeur de psychologie clinique à l’université Paris Descartes et psychanalyste, le concept de nidification psychique. Ce terme décrit le processus déclenché par la gestation qui, lorsque la greffe aura pris, amorcera une nouvelle étape de gestation psychique.

C’est ainsi que peu à peu, la future maman développera une activité sous forme de représentations mentales de ce bébé.

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Un monde imaginaire

La période la plus intense se situe entre le quatrième et le septième mois de la grossesse. La femme se construit une image de bébé à qui elle attribue progressivement un tempérament, des qualités ou des défauts qu’il aurait hérités d’elle-même, de son conjoint ou de différents membres de sa famille. Cette construction imaginaire s’établit, notamment, en fonction des mouvements du fœtus à l’intérieur de l’utérus. Par exemple, si l’enfant bouge beaucoup, la mère l’identifiera à son mari, ou dira que « c’est un vrai petit footballeur ». Si l’enfant à naître est calme, cela la fera penser à sa douce et gentille grand-mère ou à elle-même. Probablement qu’elle imagine même le visage du bébé. Mais il s’agit d’un enfant imaginaire dont il faudra ensuite faire le deuil. Car l’enfant réel ne lui ressemblera en rien.

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Mais pour l’instant, cet enfant imaginaire est nécessaire. Son rôle est d’éveiller la maternalité de cette maman. C’est comme s’il venait préparer le terrain pour le vrai bébé.

Lorsque les choses se sont mal passées pour elle en tant qu’enfant, lorsque les blessures n’ont pas été cicatrisées, la femme risque de transférer les conflits dans sa relation future avec son enfant. Ainsi, elle risquera d’anticiper négativement et d’entraîner l’enfant dans la conflictualité avant même qu’il ne soit né. Elle interprétera tout négativement. Par exemple, elle dira que l’enfant fait exprès de lui donner des coups pour l’embêter. C’est elle aussi qui, plus tard, l’accusera de lui avoir fait si mal en sortant. Ah là là ! La vie commence difficilement pour certains d’entre nous.

Dans sa fantasmagorie, la femme enceinte anticipera la façon dont elle sera mère, en s’identifiant ou en se différenciant de sa propre mère. Les représentations s’organisent alors en un ensemble varié, riche, mais pas toujours réaliste. Lorsque la grossesse est faiblement investie, elle s’imaginera reproduire les gestes et les comportements de sa mère, même si elle en a souffert elle-même. Cette apparente contradiction n’en est pas une. En effet, l’enfant apprend tout par imitation, donc ça aussi.

Grâce à l’imaginaire de la mère et aux élans de vie que son bébé lui communique, il se crée ainsi un véritable espace psychique, un petit nid douillet.

La préoccupation maternelle primaire

L’identification à l’enfant s’exprime par « la préoccupation maternelle primaire» décrite par Winnicott en 1956.  La mère se glisse complètement dans la peau de son enfant et devient capable d’en comprendre les moindres signaux, inintelligibles pour tout autre intervenant.

Le toucher de la peau et le sens de l’odorat sont de prime importance dans les échanges avec le bébé. Cette persistance de la préoccupation maternelle primaire focalise l’attention de la mère sur le maternage. Bien contrôlée, elle constitue un élément favorable pour le développement de la sécurité affective. Beaucoup de jeunes femmes modernes et indépendantes, sont parfois étonnées d’être devenues aussi dépendantes de leur bébé. Pour pouvoir se laisser aller dans cet état de régression psychique jusqu’à retrouver leur propre enfant intérieur, elle aura besoin d’être bien entourée par son compagnon et la famille.

Dans « le mystère des mères », la psychothérapeute et psychanalyste Catherine Bergeret-Amselek parle de la « dilatation psychique » pour décrire cette capacité de la future mère de faire de l’espace dans son psychisme pour son enfant et ensuite le laisser en sortir.

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La maternalité décrit la naissance d’une mère.

Ce texte est tiré de mon livre:

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